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Stalking



ÉPISODE 1

 

I’m afraid of Americans

 

 

Boston, novembre 2017

 

 

— Comment vous sentez-vous aujourd’hui, Alicia ?

 

Je me dirige droit vers le canapé Chesterfield où je retrouve bien malgré moi ma place de patiente, une place que j’exècre, car en m’asseyant, elle me rappelle que je reste une victime.

 

— Je vais bien, soufflant presque mes mots tant ils sont durs à prononcer.

 

J’ignore pourquoi je m’obstine à lui mentir sur mes souffrances intérieures, je crois que j’ai tout simplement honte, alors feindre un relatif bien-être me paraît plus acceptable.

 

— Toujours des cauchemars ?

 

— Oui.

 

Sur ce point, je ne lui mens pas. Tout le monde fait des cauchemars, même les personnes normales, non ? Par contre, tout le monde n’a pas envie d’avaler un tube complet d’anxiolytiques en se réveillant, tant leurs nuits sont un éternel retour dans le plus terrible moment de leur vie.

 

— C’est que je craignais, constate-t-il.

 

Si seulement je n’avais pas mélangé alcool et psychotrope ce soir-là, personne n’aurait cru au suicide et les somnifères ne me seraient pas interdits. Je ne serais pas devant ce psychanalyste incompétent qui me juge silencieusement, expirant ses pensées sur ses notes griffonnées à la hâte. Pourquoi mes parents déboursent-ils 200 dollars de l’heure s’il n’est pas capable de m’aider à dormir ?

 

Je scrute à la dérobée sa physionomie quelconque et m’attarde sur ses mains lourdement posées sur son carnet noir. Elles s’impatientent, espèrent que je vais enfin me livrer. Le docteur Ron est réputé comme un des meilleurs spécialistes en psychanalyse comportementale de Boston, cependant je ne vois en lui que ses jambes trop courtes et son nez trop long.

 

— Parlez-moi un peu de votre journée d’hier ? Enchérit le thérapeute.

 

Une journée comme celle d’avant-hier et comme toutes les autres. Triste, monotone et retranchée. Il n’y a que ça que je connaisse dorénavant.

 

— Comment se passe la reprise des cours ? Les exercices que je vous ai demandé d’essayer ? Alicia, je sais que vous livrer est pénible pour vous, mais essayer est déjà un pas en avant.

 

Son ton est doux et égal, pourtant je devine que je l’agace, mon silence, mon repli, je ne progresse pas assez vite à son goût. Une partie puérile et égoïste en moi se contrefout de ce qu’il pense et l’autre raisonnable et consciencieuse aimerait lui prouver que je ne suis pas une cause perdue.

 

— C’est ma dernière année de droit alors je me focalise sur les examens finaux et je dois aussi trouver un autre stage dans un cabinet d’avocat, cela me prend beaucoup de temps. Donc pour les exercices, c’est compliqué.

 

Rien que l’idée d’entreprendre les démarches pour obtenir un stage me tord les boyaux, je recule plus que nécessaire le moment où je devrais m’y atteler, mais ça il n’a pas besoin de le savoir.

 

— Je vois, soupire-t-il.

 

Il a senti que je lui ai menti, que même si effectivement je suis rigoureusement mes cours, ils ne constituent que ma seule distraction de la journée, que le reste du temps, je reste cloitrée dans mon appartement à ruminer, à projeter l’image de mon bourreau partout.

 

Dis-lui que tu es toujours terrifiée !

 

— Ces exercices sont importants, je ne vous demande pas de vous imposer à les faire tous. Un seul suffit, par exemple pourquoi ne pas sortir prendre un café en sortant de notre consultation ?

 

J’acquiesce docilement d’un coup de tête, il ne pourra de toute façon pas savoir si je le fais effectivement ou pas.

 

— Alicia, je ne veux pas vous brusquer, mais vous devez me faire confiance. Vous avez 23 ans et la vie devant vous. Réapprendre à vivre normalement implique d’effectuer de nouveau des petits gestes banals de la vie quotidienne. Aujourd’hui un café, demain le courrier, une sortie, revoir du monde. Par ces moments basiques, vous assimilerez le fait que vous êtes en sécurité maintenant, et vous vous réapproprierez votre vie.

 

Ce que je veux c’est ma vie d’avant, mais ce n’est pas possible puisqu’« il » la détruite. « Lui » m’a dépouillée de tout, même de mon nom de famille. Entendre vibrer « Mademoiselle Smith » dans la bouche d’un homme me tire un frisson d’épouvante.

 

— Écoutez, il y a une proposition à laquelle j’aimerais que vous réfléchissiez. Vous restez hermétique à une approche traditionnelle de la psychanalyse. Attention, je ne suis pas en train de vous faire des reproches, chaque personne avance à son rythme propre et répond aussi à des approches qui lui correspondent. Dans votre situation, je pense que l’hypnose pourrait vous être bénéfique. Vous refoulez encore beaucoup de sentiments et cette méthode pourrait vous aider à vous libérer de certaines de vos angoisses.

 

Il ne me demande pas d’accepter immédiatement, mais d’envisager la possibilité, ce que je consens de façon tout à fait honnête, car je reconnais que j’ai besoin d’aide quelle qu’elle soit. Le docteur Ron prend ensuite un long moment à m’expliquer en détail la démarche de l’hypnose, ses atouts, ses résultats. Je l’écoute d’une oreille plus ou moins attentive, je pense déjà au trajet du retour seule dans ma voiture, à la nuit qui va tomber. Aurais-je besoin de deux ou trois verres ce soir pour trouver le sommeil ?

 

Je quitte le cabinet, ni vraiment rassérénée ni plus mal que lorsque je suis arrivée. Dans l’ascenseur, face au miroir central je pose un œil critique sur ma taille trop fine, mon teint trop blanc, mes yeux fatigués. Alors que je m’apprête à entrer dans l’habitacle de ma voiture, mon regard est attiré par l’enseigne luminescente d’un coffee shop.

 

Un café pour prouver que tu n’es pas aussi désespérée qu’il le croit ?

 

J’exerce contre ma pulsion souterraine de m’enfuir une volonté peu commune chez moi dernièrement. Mas jambes faiblissent, mon pouls s’accélère quand j’entre à l’intérieur du café à vive allure. Je régule ma respiration bruyante, calme les spasmes de mes mains et prends place dans la file d’attente.

 

À cet instant, je suis plutôt satisfaite, moi qui patiente pour un café, comme une fille normale qui ne craint pas son ombre, quand subitement je relève les yeux sur la personne devant moi et ravale d’un coup toute ma hardiesse.

 

C’est « lui ».

 

Je suis dans un cauchemar, j’hallucine, et cela est tout à fait possible considérant ma fragilité mentale du moment. Pourtant, quand il porte son téléphone jusqu’à sa bouche et résonne l’intonation de sa voix, je crois défaillir. Je reste immobile, pétrifiée par l’effroi avant que l’homme ne se retourne et que je constate qu’il s’agit d’un inconnu.

 

Cependant, mon penchant parasite pour la psychose ne s’arrête pas en si bon chemin et une révélation aussi aberrante qu’embarrassante me frappe. S’il n’est pas devant moi, s’il qu’il est derrière moi.

 

Je subis pendant de longues minutes, la terrible sensation de sa présence dans mon dos. Remise à ma panique habituelle, je cède à vérifier derrière mon épaule et comme toutes les autres fois, ce n’est pas lui.

 

Ce n’est pas lui, car ton supplice est terminé.

 

J’arrache mon café des mains de la serveuse, détale dans la rue, furieuse, énervée contre moi-même. Je balance mon café plein dans la première poubelle qui se trouve sur mon chemin.

 

— Voilà ton putain de café ! je peste, sans savoir si je m’adresse au docteur Ron, à « lui » ou moi-même.

 

De retour à mon appartement, je suis soulagée de constater que Carla est rentrée. Cette belle brune italienne a d’abord été ma colocataire avant de devenir ma meilleure amie, mon alter ego, mon pilier. Après avoir vécu l’horreur à New York City, ville dans laquelle je ne pouvais plus vivre, elle n’a pas hésité une seconde à me suivre à Boston. Sans son soutien sans faille, et son optimisme à toute épreuve, je serais déjà depuis longtemps au fond du trou.

 

— Hey bella, comment ça a été la journée ? me décoche-t-elle avec un grand sourire.

 

Je lui souris à mon tour et me garde de lui faire le récit détaillé de ma journée palpitante, je préfère m’installer auprès d’elle au milieu du salon, où elle est affairée à déballer nos derniers cartons.

 

— Mark était au magazine aujourd’hui, commence-t-elle à me relater. On a déjeuné ensemble. Je sais que tu ne l’aimes pas, mais il n’est pas aussi con que tu le penses, tu sais.

 

Je lui concède, je ne l’aime pas. Dès la première rencontre, j’ai décelé chez Mark une personnalité égocentrique insupportable, mais je sais aussi que ce que je n’aime pas chez lui, est qu’il m’ait reconnue. Il connaît mon histoire et à ses yeux je suis « l’Alicia Smith de New York City ».

 

Une curiosité malsaine.

 

Je gère encore assez mal les confrontations malheureuses avec les personnes qui sont informées de mon passé. Je me souviens, il y a quelques semaines de cette fille que j’ai failli étrangler dans les toilettes, car elle était sur le point de raconter des détails de ma vie à sa copine.

 

— Carla, peu importe ce que j’en pense, du moment qu’il te plaît.

 

Malheureusement mon amie a une vilaine tendance à être séduite par les mauvais garçons. Si je laisse le bénéfice du doute à Mark pour le moment, je pense qu’il ne vaut guère mieux que son ex petit ami Cameron, qui lui est un con avéré.

 

— Devon nous propose d’aller boire un verre demain soir à l’Island Creek.

 

— Pourquoi pas, dis-je sans enthousiasme.

 

Devon est pour le moment notre seul ami à Boston. Un photographe, d’une trentaine d’années, au look excentrique, mais au regard tendre.

 

Je ne tiens pas à imposer à Carla ma déprime perpétuelle avec tous les sacrifices qu’elle a faits pour moi, aussi pour elle, je fais des efforts.

 

— Pourquoi pas, dis-je sans enthousiasme.

 

— Tiens, me dit-elle en me tendant une liasse de papier. Ils sont à toi ceux-là.

 

J’inspecte les documents sans grand intérêt, de vieux cours, des formulaires de mon ancienne université et brusquement je me fige.

 

Une sueur glacée me descend le bas du dos.

 

— Qu’est-ce qui se passe ? me lance Carla qui découvre ma mine déconfite.

 

— Je l’ai retrouvée, regarde ! La lettre, la première lettre !

 

Cette lettre en apparence si anodine qui a marqué le commencement de mon calvaire. Je ferme les yeux et je revois son écriture gravée au fer rouge dans ma mémoire.

 

Mademoiselle Smith,

 

Cela fait plusieurs jours que je vous croise et je n’ai pas osé vous aborder directement.

 

Je vous trouve très attirante et j’aimerais beaucoup avoir la chance de vous parler. J’espère lors d’une prochaine rencontre.

 

Affectueusement.

 

Je croyais l’avoir perdue, qu’« il » me l’avait volé, alors que je la gardais avec moi depuis des mois. D’un seul coup, je déraisonne et sens son odeur autour de moi, sa voix au creux de mon oreille, ses mains contre ma gorge.

 

J’attrape ma veste, mon sac à main, et pars, Carla me suit ahurie. Je veux montrer cette lettre au Dr Ron, je veux qu’il m’explique pourquoi je l’ai gardée, je veux qu’il me tire de ce cauchemar, je veux me défaire de « lui » ce soir.

 

Lorsque nous arrivons au cabinet, la salle d’attente est vide, la réception également, le psychanalyste s’apprête à verrouiller la porte de son bureau.

 

- Docteur, je suis vraiment désolée, je sais qu’il est tard. Mais si vous ne m’aidez pas tout de suite, je sens que je pourrais faire une bêtise.

 

Je lui tends la lettre, il comprend immédiatement et sans hésiter me fait entrer dans son bureau.

 

— Alors Alicia, vous êtes prête ? Voulez-vous vraiment remonter jusqu’à cet épisode de votre vie ?

 

Revivre le plus tangible de tes cauchemars ?

 

— Oui, faisons-le !

 

À suivre…

 

 

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résumé

Stalking

Alicia Smith s’assoit sur le canapé de son psychothérapeute depuis des semaines, et son état mental loin de s’améliorer s’enlise dans la peur et la paranoïa.
Qu’est-il arrivé à cette jolie étudiante en droit pour qu’elle ait fui New York City et tente de reconstruire un semblant de vie à Boston ? Qui se cache derrière l’ombre obsédante qui sème la terreur dans son existence ?
Prête à tout expérimenter pour guérir, Alicia se risque à l’aide de l’hypnose à faire un bond dans sa mémoire 6 mois en arrière au commencement de son calvaire, mais que va-t-elle découvrir en retournant dans son passé ?

Plongez avec l’héroïne dans une spirale obscure et palpitante où l’angoisse monte au fil des pages. Vous allez adorer trembler pour elle.

 

Auteure : Beth Draven

Nombre d'épisodes : 14

 

 

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